L'action du Souffle en soi

Respirer, ce n’est pas seulement maintenir une vie biologique en nous. Nous sommes trop attentifs à ce seul aspect du souffle, inspir et expir mécaniques. Respirer, c’est prier. C’est être conscient que Dieu est là, dans chaque souffle qui nous traverse. Le souffle est la puissance d’une Réalité invisible. Il donne vie, il est le principe même de la vie. C’est en lui que l’âme puise ses facultés spirituelles. Notre vie spirituelle ne tient qu’à la conscience de ce souffle, de son origine, de sa présence en nous et de son retour à la source. Notre vie spirituelle ne tient qu’à la conscience que c’est Dieu qui respire et que l’on respire à chacun de nos souffles, dans Son amour, dans Sa présence. En être conscient nous permet de nous rapprocher de Lui, d’entrer en résonance avec Lui. Plus nous sommes conscients, plus nous sommes respirés par ce grand Mystère. Plus se révèle l’invisible, l’inaudible, l’indescriptible. Alors nous devenons Voyants : nous voyons de quelle manière Il cherche à se manifester de façon individuelle à travers nous.

Ce qui compte sur notre chemin, c’est la reconnaissance de cette manifestation en nous et notre prise de responsabilité de nous laisser trouver par elle. Sans la confiance qu’on donne à ce quelque chose inconnu qui nous cherche, non séparé de nous mais non confondu, plus vaste et plus intime que notre propre fond, le souffle ne fera que nous traverser sans nous pénétrer selon le mode de Dieu. C’est dans la solitude, dans le silence, dans notre façon d’être là, de demeurer, que le souffle divin nous trouve. Il nous trouve parce que nous nous laissons trouver. Et nous nous laissons trouver chaque fois que le souffle s’engouffre sans obstacle mental et psychique dans notre intériorité, nous plaçant dans notre axe, « lieu » d’accord au fond de nous.

Notre âme, le « noyau » de notre être, est issue du souffle de Dieu. Il est son commencement comme Il est sa fin. « Dieu souffla dans les narines de l’homme un souffle de vie et il devint une âme vivante. »(Ge. 2,7) C’est ce Souffle originel, à chaque instant renouvelé, qui rend l’âme vivante, c’est à dire éternelle. Il ne peut rien arriver de pire à l’âme, principe de vie, que de n’être point sauvée de la mort, puisqu’à la disparition du corps, l’âme est simplement « rendue » au grand Souffle de l’univers.

La conscience du souffle pendant notre incarnation est aussi l’attention portée sur ce qui peut l’entraver dans notre façon de vivre, de penser et d’agir. A mesure que se déploie notre conscience globale, le flot régulier, puissant et souverain du souffle affermit notre âme, l’affine, la rend plus indépendante du corps. Une fois libre et forte, l’âme peut se mettre au service de ce qui la dépasse. Lorsqu’elle quitte le corps, elle présente ce que sa connaissance du Divin a pu accomplir.

Il y a toujours urgence à s’occuper de son âme. C’est une urgence intérieure, solitaire. Notre âme est un sanctuaire. Personne, aucun sage, aucun maître, ne peut y pénétrer. Nous seul pouvons en prendre soin et considérer ce qu’elle a de sacré. Son voyage dans l’infini de la grande Ame est périlleux : chutes, enveloppes de plus en plus lourdes, oubli de l’origine, souffrances… puis, avec l’aide de la conscience éclairée par le dard de la douleur, vue recouvrée, ascension… Le temps de notre incarnation est court, très court par rapport au temps de notre éternité. Il nous est donné pour y apprendre la bonté, la patience, le don de soi. Ainsi l’âme « remonte » dans des dimensions toujours plus lumineuses où elle reçoit un enseignement de plus en plus haut. Dans l’intériorité la plus profonde.

En chacune de nos inspirations se trouve le Souffle primordial qui donna l’impulsion originelle à notre âme. A chacune de nos expirations, notre âme reflue vers la source et a la possibilité de s’y absorber. Cette respiration est le mouvement cosmique qui ne cesse jamais et fait notre âme vivante, au sein d’un Océan en repos. Jésus disait : « Quel est le signe de Dieu qui est en vous ? Un mouvement et un repos. » (Ev. Thomas) Chaque âme est une infime part de la grande Ame infinie qui Respire. Lorsque je suis partie vers ce qu’on nomme la mort et qu’il fut donné à ma conscience de se déployer à l’infini, le Mystère grandiose de la vie se révéla. J’ai su que l’Intelligence « perçue », ce Dieu caché, Respire par des millions d’âmes. Dans un amour indicible, à la Source d’une lumière-connaissance suprême, la vibration de cette Respiration est d’une si haute fréquence qu’elle est comme une unique pulsation continue. C’est l’éternité, notre véritable temps, entre deux brèves incarnations.

Notre âme est une étincelle qui peut nous dévoiler les splendeurs de la Conscience divine. Elle est notre potentiel d’accomplissement, donné depuis le commencement. Cette colonne d’énergie enroulée autour d’elle-même est la force qui nous anime et nous tient debout. Il est fondamental de demeurer en harmonie avec cette puissance intérieure. C’est cependant ce potentiel que nous dispersons lorsque nous sommes soumis aux énergies sensibles, mentales, émotionnelles, affectives non maîtrisées et devenues autonomes, qui nous fragmentent. Nous sommes dès lors à la merci de leurs pouvoirs désordonnés et nous souffrons… Nous ne savons pas voir derrière la multiplicité le souffle Un qui nous traverse. Il en résulte une dispersion du potentiel d’accomplissement qui nous est dévolu. Il s’agit d’affermir notre âme et de faire l’unité. Par le même moyen qui nous a mis en péril de désintégration. Comme Virgile et Dante se sont accrochés à Lucifer pour commencer leur remontée des Enfers, le destin, nos douleurs, nos chagrins, nos blessures, la matérialité de tous les faits de notre existence, constituent la proposition qui nous est faite de comprendre et de trouver les éléments de connaissance indispensables pour qu’apparaisse la lumière au sein de nos ténèbres.

Si nous souhaitons réunifier nos mouvements désordonnés et fragmentés, qui contribuent à nous décentrer et à affaiblir nos vibrations de moins en moins conscientes, nous n’avons pas d’autre choix que de nous intérioriser. Il nous faut plonger en nous-mêmes, avec confiance, et être patient envers nos faiblesses. Au fur et à mesure que nous nous recueillons dans une vraie intériorité, nous reconnaissons ce qui est dispersé et agité en nous. Ce repos en soi vivifie notre âme. Nous devenons conscients de ce qui nous traverse et nous l’assumons. Assumer, c’est se préparer à entendre l’information qui nous crée de l’intérieur et à voir notre potentiel d’accomplissement personnel. Lorsque notre âme est coupée du principe d’information qui la relie à la Vie, elle se meurt. Ce n’est que dans le plus profond silence, lorsque notre esprit est apaisé, que l’information qui nous accomplit de l’intérieur peut être entendue et que l’unification de nos énergies dans le souffle peut être réalisée.

C’est par le passage de la respiration mécanique à la conscience du souffle que nous pénétrons dans le silence, dans cet espace retiré au fond de nous, caché derrière le voile des formes et des évènements. Le silence est déjà là avant notre naissance, déjà là au commencement du monde : silence de l’origine, présent de toute éternité. Silence des profondeurs de l’âme, qui seul peut exprimer la prière de celle qui se dispose à accueillir la Grâce secrète. Silence du recueillement qui rassemble l’être, unifie ses énergies, évite son égarement, sa perte… Le silence est le chemin qui permet de retrouver son destin spirituel, de revenir à son origine. Il est l’ultime voyage de l’âme, par lequel elle rejoint sa demeure. Un silence enveloppant, rayonnant, unificateur…

L’amour naît du silence, s’élève de ce fond. Dans une intériorité transparente, notre âme devient le miroir pur de l’Essence divine. Parce qu’il lui est donné la liberté, et qu’elle seule rend possible l’amour. L’amour rythme la Respiration cosmique. Il est la cause du déploiement de l’univers et de sa résorption. Lui seul nous révèle le mystère de la Promesse chuchotée il y a bien longtemps, et dont seule notre âme se souvient. « Si vous avez de l’amour, vous savez ce que Dieu est… » (Krishnamurti)

Que la banalité d’une existence que nous croyons ordinaire soit remplacée par la profondeur et la grandeur de la vie de notre âme. « Car Dieu réside dans l’intérieur de tout homme, mais peu savent le trouver. (…) Or, sache-le, l’âme qui a trouvé Dieu est délivrée de la renaissance et de la mort, de la vieillesse et de la douleur, et boit l’eau de l’immortalité. » (Bhagavad Gita)