Colloque 1er mars 2015
Enregistrement

C’est un constat que nous pouvons tous faire : nous ne nous sentons exister que sous l’emprise de pensées qui entravent une attention calme et pénétrante sur les évènements de notre vie. Et si nous ne mettons pas en mouvement notre corps, une anxiété aussitôt nous envahit. La société tout entière nous pousse à bouger, à faire, à extérioriser la multitude d’idées superficielles qui naissent de l’effervescence de nos cerveaux sans cesse sollicités. Nous sommes entraînés dans un tourbillon d’activités qui ne sont qu’affairement, agitation de nos esprits enchaînés à notre apparence physique. Ce n’est qu’ainsi que nous nous sentons exister. Et cependant, il n’y a jamais de contact profond avec la vie. Nous projetons des milliers de pensées répétitives et insignifiantes qui nous étouffent, nous enferment, qui parasitent notre conscience et l’empêchent d’être en contact direct avec le mouvement de la vie. Ainsi, nous ne touchons jamais chaque chose profondément, nous ne pénétrons jamais la réalité telle qu’elle est. Or, les pensées n’ont que le pouvoir que nous leur donnons.

Observez toutes vos nombreuses pensées, et notamment les pensées de défense face au mouvement de la vie. Observez-les simplement, voyez comme elles parviennent à prendre possession de vous, à envahir tout le champ de votre conscience. Observez sans vous engager, sans chercher à vous débarrasser de leur flot. Si vous ne les retenez pas, elles disparaissent d’elles-mêmes. Les pensées observées avec détachement ne bloquent pas le libre flux d’énergie émanant du fond de la conscience. Vous demeurez détachés de chaque état mental, reconnaissant que vous êtes simplement en train d’expérimenter des formes d’énergie, dont la source est pure. Vous ressentez alors en vous un souffle bien plus vaste que votre esprit, un courant puissant au sein duquel aucune émotion, aucune souffrance ne peuvent s’enraciner.

Notre seule erreur est d’entretenir des pensées dont la nature même est l’inconstance. Lorsque nous nous plaçons dans un état d’attention aux mécanismes de l’esprit, lorsque nous remarquons ses automatismes générés par nos conditionnements, nous prenons conscience de la confusion, de l’agitation dans lesquelles les pensées nous installent.

Soyez toujours conscients de la moindre pensée négative ou émotion négative. Corrigez-la en exerçant votre intelligence, votre patience et votre bienveillance. C’est nous-mêmes qui avons la responsabilité de voir nos pensées débridées et d’en assurer la maîtrise. Personne ne peut le faire à notre place, car personne d’autre que nous ne peut savoir à quel point nous sommes dans l’égarement et la confusion. Donc, regardons constamment notre propre esprit. Cette prise de conscience est une ouverture silencieuse libératrice. L’esprit reprend alors sa juste place, apaise de lui-même son fonctionnement parasite, ne nous emporte plus dans des réactions de peur, d’agressivité ou de découragement. Seule la partie fine, pénétrante de l’esprit, qui nous sort de notre perception ordinaire et nous place dans une vraie réceptivité, est utilisée. Les pensées peuvent surgir, disparaître… nous voyons leur nature vide. Elles ne sont que des reflets sur le miroir inaltéré de la conscience, reflets liés à notre monde changeant et relatif.

C’est la connaissance qui libère du conditionnement dualiste, des automatismes qui nous font prendre au piège des pensées et des émotions. La connaissance s’acquiert par la réalisation de la nature lumineuse de l’esprit originel. C’est parce qu’il a cette qualité de clarté que l’esprit connaît les choses, se connaît lui-même et peut transformer sa perception de chaque phénomène apparent en quiétude et en sagesse.

Si vous reconnaissez le caractère éphémère et vide de tout ce qui apparaît à votre regard, de tout ce que vous appréhendez par la pensée, de tout ce que vous entendez et touchez, si vous comprenez profondément ce caractère vide et l’expérimentez, alors vous ne perdrez jamais le contact avec la source de ces phénomènes apparents, avec la conscience pure. Et tout ce qui viendra à votre rencontre sera l’occasion de maintenir ce contact, de le nourrir, de le chanter et l’honorer.

Tous les êtres humains, même les sages réalisés spirituellement et qui ressentent avec une sensibilité aiguë l’immédiateté de l’instant, connaissent les émotions douloureuses qui parfois s’élèvent. Ils accueillent tout avec douceur, avec tendresse. Nous ne contrôlons pas les puissantes émotions. Alors accueillons-les et laissons-les s’exprimer. Elles font partie de notre cheminement, elles font aussi partie de notre pratique spirituelle. Elles disparaîtront. Leur nature est l’énergie universelle qui va se déployant puis se résorbant. Pour chaque émotion, il en est ainsi. Notre seule réponse est de nous laisser aller dans ce courant.

Tournez-vous vers l’intérieur de votre être. Il ne peut y avoir reconnaissance de la vraie nature de la réalité sans retour vers soi. Sans ce retour, nous restons immergés dans nos souffrances, nous sommes pris au piège de nos émotions. Nous demeurons les esclaves d’une entité fictive, l’ego, construite à partir de l’attachement à notre corps, et qui n’est concernée que par elle-même. C’est ce lien qui est à l’origine de toutes les pensées et émotions conflictuelles. Il s’agit de comprendre que nous ne sommes ni ce corps qui s’use et disparaît, ni ces pensées qui vont et viennent sans arrêt, accompagnées de la palette des émotions. Ces identifications erronées nous aliènent, nous séparent des autres, occupent notre précieuse vie à défendre un ego à la fois orgueilleux et angoissé, ou à agresser ceux qui ne répondent pas à ses prétentions. Tout ceci est cause de nombreuses souffrances.

Les pensées de haine, de désir, d’attachement, de domination, n’ont pour fondement que la croyance en l’ego, qui lui-même n’a de réalité que celle que lui donne le mental. Or toutes les pensées, et la pensée de l’ego notamment, n’ont aucune réalité propre. Mais convaincus de leur nature concrète, nous saisissons mentalement leur mouvement, nous nous mettons sous l’emprise de leur illusion, et ainsi éprouvons sans cesse des attractions et des rejets, des fascinations et des haines. Comment trouver et maintenir sans effort, sans contrainte, la quiétude de l’esprit ? Il ne s’agit pas bien sûr d’essayer de stopper le flux des pensées. On parvient au calme mental dès qu’il n’y a plus de saisie, dès qu’on laisse aller et venir les pensées en respectant leur mouvement naturel. Leur mouvement naturel émerge de la conscience, dont la réalité est vide. L’esprit, en sa nature même, en son essence et son origine, est cette conscience vide, immuable, inaltéré, lumineuse. Notre esprit, dans son état originel, est stable, clair, paisible. Si vous apprenez à reconnaître, par la méditation, par le recueillement intérieur, la nature stable et lumineuse de l’esprit, vous laisserez s’évanouir les pensées dès qu’elles apparaîtront, et les émotions négatives n’auront ni le temps ni la force de s’enraciner.

Il s’agit donc, par une pratique constante, une vigilance quotidienne, d’apprendre à libérer les pensées, à les laisser partir sans laisser de traces. Observez-vous, à chaque instant, dans vos paroles, dans vos actes, afin d’apprendre à libérer les pensées qui vous traversent et qui sont à la source de vos paroles et de vos comportements. Observez, aussitôt qu’il s’enclenche, ce processus mental qui vous fait entretenir des pensées et vous y attacher. Se libérer des pensées, c’est s’affranchir de l’évaluation constante qu’opère le mental : chacune de nos perceptions est évaluée selon le plaisir ou la répulsion qu’elle procure à cette autre pensée, tenace, celle d’un ego tangible, solide. Une fois libéré des pensées, l’esprit s’éveille à la présence du moment et réalise qu’il est conscience claire.

Donc vivez tout ce qui vous traverse, vivez vos émotions, c’est à dire ne les fuyez pas. Comprenez et intégrez vraiment tout ce qui vient à votre rencontre. Les problèmes ne proviennent pas des émotions en elles-mêmes, mais du manque de compréhension de leur nature. Laissez-les surgir, ne les bloquez pas, ne bloquez pas le libre courant de l’énergie en vous. Ne portez pas de jugement, ne vous laissez pas dominer et emporter par les émotions, c’est à dire dépassez votre attachement ; ne vous laissez pas conditionner, c’est-à-dire soyez vigilant quant au degré de distraction de votre esprit. Et surtout, intégrez les émotions qui surgissent à votre pratique spirituelle. Servez-vous en comme combustibles. Vous verrez qu’à l’origine, leur énergie est pure. Tout est clarté à l’origine.

La cause fondamentale de nos tensions, de nos conflits intérieurs, qui débouchent sur l’agressivité et la peur, est la confusion émotionnelle. La prolifération des pensées dans un esprit laissé en mode ordinaire de fonctionnement renforce les émotions, les enracine en nous. Il est nécessaire de voir le fonctionnement de notre esprit et son état d’agitation pour pouvoir l’apaiser. Puis de maintenir cette vue pour ne pas retomber dans les automatismes et la confusion. L’instabilité émotionnelle et la dispersion de nos énergies ne peuvent être vues et comprises que dans l’intériorisation, le retour vers soi. La méditation développe la vision de la véritable nature des phénomènes qui nous traversent. Nous nous posons, nous nous recentrons et nous nous stabilisons. Dans ce recueillement, nous unifions toutes les perceptions au fur et à mesure qu’elles nous arrivent. La racine de la méditation est l’attention. C’est cette attention qui nous mènera à la connaissance de la réalité, et jusqu’au seuil de l’absorption dans cette réalité de vacuité lumineuse.

Il s’agit d’accomplir notre propre temps intérieur, et non de courir derrière un temps extérieur au rythme de plus en plus frénétique, qui nous stresse, nous épuise physiquement et psychiquement. Nous ne pouvons pas supporter cette accélération du temps imposée, qui crée de graves dommages à notre santé. Elle nous entraîne dans la compétition entre humains, l’agressivité, la peur de l’autre. Dans cette lutte permanente que sont devenues nos vies, nous nous épuisons. Celui qui s’intériorise, qui se retourne vers l’être authentique qui l’habite, donne au temps sa valeur d’éternité.

Lorsque nous sommes dans un état de tranquillité naturelle, nous pouvons voir que tout ce qui apparaît en nous se libère de lui-même. Il est fondamental de préserver cet état de calme, de simplicité, en restant constamment conscient de nos pensées. Cessez de gaspiller votre énergie en agitations vaines, en précipitations égoïstes sous l’emprise d’émotions contradictoires, qui produisent des actes négatifs, destructeurs, qui multiplient les problèmes et vous détournent de la paix tant recherchée. Une existence perpétuellement affairée n’a pas de sens. Donnez un sens à votre vie.

Que toute votre existence soit méditation, c’est-à-dire présence continue, attention de tous les instants. La méditation est un état de simplicité, libre de toute saisie conceptuelle. Si vous vous dites : là j’entre en méditation, lorsque vous en sortez, vous retournez à un mode de fonctionnement ordinaire. Ne séparez pas votre vie, elle est une, sinon vous maintenez une instabilité en vous qui sera cause d’émotions perturbatrices. Dans cette attention sans effort que vous poserez sur tous les phénomènes de votre vie, la vision de leur nature vide viendra naturellement. Lorsque votre esprit est recueilli, unifié, il ne porte pas de jugement, ne rejette rien. Il accepte le surgissement des pensées et avec elles, d’émotions, et donc il accepte leur disparition. Dans cette acceptation, il n’est plus victime de sa croyance en leur réalité concrète. Ainsi, peu à peu, les pensées et les émotions ont moins de force et vous n’en êtes plus les esclaves.

La vraie réalité est au-delà des concepts qui emprisonnent nos esprits. Elle est au-delà de nos visions dualistes qui ne font que nous enraciner un peu plus dans la souffrance. Ce n’est qu’après avoir reconnu la nature vide et lumineuse de tous les phénomènes, et leur inséparabilité d’avec leur source, que nous pouvons accéder à une stabilité intérieure et que notre souffrance prend fin. Vivre n’est pas autre chose que permettre à l’énergie qui nous pénètre de circuler librement en nous, sans entrave, et de se réaliser consciente en nous.

Il est indispensable d’apprendre à s’intérioriser, à reconnaître le chemin du retour vers soi. Comment pouvons-nous vivre dans la paix si nous sommes incapables de pénétrer en notre espace intérieur, d’y plonger et replonger sans cesse avec confiance ? C’est en notre fond que se trouve la paix, ce calme qui est notre clarté naturelle. C’est en notre espace intérieur que la vie a son véritable sens. A chaque instant, dans chaque circonstance, dans chacun des actes, vous devez être en contact direct avec l’énergie de la vie qui vous pénètre et entendre ce qu’elle vous communique. Cet espace intérieur est une terre d’accueil, un acquiescement à tout ce que la vie vous propose. Dans cette simplicité, dans cette détente, vous pénétrez au cœur de la vie et vous comprenez, de l’intérieur, le sens des évènements qui tissent votre destinée. C’est un chemin d’amour et de connaissance qui vous est proposé.

Sans cette absorption en soi, vous ne réaliserez jamais qui vous êtes. Vous ne verrez jamais que l’être authentique qui vous habite est un être de sagesse. Vos expériences vous apparaitront toujours plus fragmentées, sans fil unificateur, et vous vivrez en proie à des tensions, ballotés entre attraction et rejet face aux évènements, déchirés entre fascination et souffrance. Intériorisez-vous, recueillez-vous en votre cœur jusqu’à ce que vous parveniez à voir tous les phénomènes émerger et disparaître sans en dépendre, jusqu’à ce que vous acquiesciez totalement à leur énergie, la mainteniez unifiée en vous et l’intégriez sans vous y attacher. Vous en aurez ainsi la compréhension juste. Vous vous sentirez alors reliés et en paix avec tout le vivant, le regard, non plus fasciné par le miroitement des reflets, mais tourné vers la source.